Non, ce n'est pas de la nostalgie, c'est de la joie....
« Le passé », dit un de mes personnages, « c’est bon seulement quand on y retourne pour se faire plaisir, pour se dire qu'on a eu de la chance d'avoir vécu çà, ou vu çà. Mais des larmes, on a assez d'occasions d’en verser sans en plus aller les rechercher dans le passé! »… Toute vie comporte ses moments sombres. Ils nous marquent, bien sûr. Mais nous pouvons refuser d’être leur victime au-delà de leur temps. D’autres – et nous en connaissons tous – brandissent les nombreux malheurs qui les ont frappés comme autant d’excuses à leur poids morts et se font porter par les autres, ces bienheureux qui eux, ont vu la vie en rose depuis le berceau.
Et si je reviens sur le passé si volontiers – encore qu’il s’agisse rarement d’un passé chagrinant sur lequel je n’aime pas me tourmenter – c’est qu’au contraire je me dis souvent « mais quelle chance d’avoir connu ça ». Le chauffage au charbon dont je parlais dans un article précédent. Les disques de cire qui grattaient et lançaient ces musiques chaudes et joyeuses qui partaient s’enrouler dans les rideaux du salon, des rideaux épais couleur brique avec des motifs un peu orientaux crème. Les fers à repasser qu’on chauffait dans la cuisinière à charbon et qu’on ressortait avec un morceau de vieux drap de lit recyclé en mille et une pièces aux usages multiples : pour faire reluire les cuivres, l’argenterie, cirer les meubles ou transformées en pattemouille dont une vapeur au parfum de savon s’échapperait par le vasistas de la cuisine…
Le pudding caramélisé que l’on faisait refroidir dans la neige. Le garde-manger dans la cave. La fente dans la fenêtre de la salle à manger par laquelle on pouvait faire glisser une pièce pour le pauvre… (Le pauvre ne passait plus depuis longtemps, et d’ailleurs les voiles en auraient pudiquement caché la vue, mais la fente avait bien dû servir un jour avant nous…). La grosse radio jaune qui chauffait et avait un œil vert allumé qui m’intriguait tant. Ma mère me disait que la lumière qui provenait de derrière la protection de tissu était celle qui éclairait un orchestre d’hommes minuscules qui faisaient la musique. J’essayais de les voir… et étais déjà contente de voir leur éclairage !!!
Les ronds de serviette monogrammés – qui reviennent à la mode ! -, les serviettes brodées. La nouvelle nappe du dimanche… Les cendriers que l’on rapportait à mon pauvre grand-père de toutes les vacances…. Sa petite machine à rouler les cigarettes que je maniais comme un authentique fumeur invétéré, ce qui me rendait très fière. La Birkin Wasser avec laquelle ma mère me frictionnait les cheveux tous les soirs. Les peaux de chamois pour polir les ongles. Les soirées où on ouvrait la table à jeux et jouait aux cartes, ou aux dames en écoutant la radio. Les bénitiers à l’entrée des chambres à coucher et de la chambre à jeux. Les bouquets en mie de pain faits par ma grand-mère… La chaise de Joseph, entièrement brodée par un homme, monsieur Hennessy – du cognac du même nom - , mais je ne sais pas pourquoi ma grand-mère avait une chaise qu’il avait brodée, c’est un mystère qui restera tel… Les bouteilles de Bols que l’on utilisait comme bouillottes…
Oh non, ce n’est pas nostalgique ! C’est une promenade dans le musée du souvenir, un plaisir sans cesse re-savouré. Que les choses aient changé n’est pas triste. Mais qu’elles soient encore accessibles est un grand bonheur !!!