L'arc-en-ciel sur la colline
C’est ainsi que l’on surnomme ce lieu dont la splendeur n’apparaît que pendant deux ou trois courtes semaines. Et pourtant, c’est toute l’année que l’on guette le retour de l’arc-en-ciel.
Des iris, des iris, un foisonnement d’iris sur la colline au pied des arbres touffus, au bord d’une route jalonnée de grandes villas entourées de pelouses aux teintes d’Irlande même au cœur de l’été. Le Presby Memorial Iris Garden, du nom d’un horticulteur passionné – imaginez donc la douceur d’un homme dont la passion n’est pas le football mais les iris ! -, Frank H. Presby qui avait fondé l’American Iris Society.
A Montclair, on ne manque le rendez-vous pour rien au monde. Armés d’appareils photos, de vidéo caméras, de pinceaux et crayons on s’attarde entre les massifs ravissants, on se penche sur les fleurs avec un petit ah ! suspendu dans la gorge, l’émotion frôlant l’extase. De ces brèves mais parfaites floraisons, on ne perd rien. On sait qu’on assiste à quelque chose d’unique et précieux, on se gorge la vue de cette symphonie en tons pastels ou denses, parfois même audacieux.
26 massifs se partagent la grâce d’iris barbus, grands ou « antiques », d’iris japonais, sibériens ou de Louisiane, d’iris miniatures, d’iris aquatiques : 10.000 plantes et 3.000 variétés. Les bulbes sont répertoriés, leur généalogie tenue aussi scrupuleusement que celles dont se chargent les Saints des derniers jours. Et on peut vous dire que l’ancêtre de telle plante fut ramenée il y a cent ans de tel jardin européen, ou offerte par tel souverain lointain ou encore sauvée de la destruction par tel horticulteur patient dans une petite serre de Pologne.
Il y a cinq ans, ce lieu de beauté fit les frais de l’ennui des petites villes américaines : deux jeunes imbéciles fils à papa désoeuvrés se sont « amusés » à arracher toutes les plantes. L’émotion fut vive, l’indignation appelait à la peine exemplaire. Les deux sots ont vite été identifiés, et en tout cas l’un d’eux a eu, comme châtiment, de remettre les bulbes, d’aider à les re-classifier, de travailler dans le jardin et d’en effacer la trace de son absurde bravade. Les dégâts ont été graves et certaines pertes irremplaçables. La leçon a servi, puisque le coupable a même écrit une lettre ouverte à la ville dans le journal, ayant enfin compris tout l’amour qu’il avait mis à mal.