Vivre à New York
J’aurais aimé vivre à New York pour un temps. Tout au moins… je le crois.
La première fois que j’y suis allée pourtant, j’étais réticente. Pensez-donc: j’étais en route pour le Nouveau-Mexique, la montagne Sandia, Santa Fe, les pueblos indiens, l’altitude, les chiens de prairie, les tamales et le guacamole. Aussi New York…. Pffft! Et je n’y ai donc vu que la crasse et la course folle des passants, parce que finalement, c’est une ville qui s’apprécie … le nez en l’air ! Mais depuis, chaque fois que je m’y rends, c’est avec la gourmandise d’un papier buvard. Je veux m’imprégner de tout.
Bien sûr, comme tout le monde ou presque, par New York j’entends l’île de Manhattan. Pour bien des gens qui y sont nés ou y habitent, gigantesque ou pas, New York ce n’est que leur quartier. Le tabac du coin, le coiffeur, le beauty parlor, la pizzeria, les chats de rue sur les poubelles, les bouches d’incendie, le jardin potager communautaire, les châteaux d’eau sur les toits plats, les escaliers de secours encombrés de plantes aromatiques en pots, une vue dérobée sur un des ponts, le bruit des ambulances, les clochers des églises qui rappellent l’heure de la messe, les petites vieilles et leur toutou en manteau … Tous ces quartiers forment une mosaïque, avec des pièces déteintes et érodées, d’autres exquisement entretenues et retouchées, et puis les neuves aux couleurs éclatantes, à l’émail lisse caressé par le soleil. Derrière toutes ces façades, les lépreuses et les grandioses, jour après jour des vies se déroulent en cris et silences. Les portes s’ouvrent et livrent le passage à ces heureux mortels pour qui la vie à Manhattan n’est qu’un banal quotidien, une vie normale.
Et il est vrai que lorsque je vivais à Bruxelles, les ors de la Grand Place et la beauté des poissons figés dans la glace pilée des restaurants de la petite rue des bouchers … c’était le régal de mes yeux qui pourtant s’y étaient un peu habitués. Et j’ai fini par me sentir chez moi à Aix-en-Provence ou Turin ou Trieste, et à en accepter les beautés quotidiennes sans plus m’en émerveiller.
Manhattan, c‘est aussi un échantillon de chaque partie du monde presque aussi vrai que cet ailleurs dont ils apportent l’écho. Oui, à Little Italy on parle un italien démodé et souvent avec un accent. Et c’est une remarque que l’on peut faire à tous les groupes ethniques qui se rencontrent sur cette île fabuleuse. Mais c’est là qu’il faut aller si on veut une pizza come Dio commanda, et non pas au New Jersey où se sont repliés les Italo-Américains à la recherche de plus d’espace et de jardins après les appartements parfumés au sugo di carne de Broccolino. Ils se sont mis ici à faire une fausse cuisine italienne surchargée de tout et délestée du principal: les bons ingrédients. Car ce qu’on trouve à Manhattan est introuvable à 20 minutes de voiture.
L’obscurité s’abat tôt dans les rues, à cause de la hauteur vertigineuse des skyscrapers, et on est déjà à l’ombre depuis longtemps que le soleil surchauffe encore les vitres au sommet des immeubles, baignant de joie les jardins suspendus, soulignant avec malice les gargouilles ou colombages Tudor tout en haut des buildings. C’est pourquoi c’est aussi le nez en l’air qu’il faut s’y promener !
Et lorsque je reviens dans le New Jersey par le parkway, et que sur la gauche j’ai la vue de l’audacieuse découpe des tours sombres sur le ciel indigo, mouchetées de lumières multicolores, mon coeur s’emplit de bonheur. C’est d’une grâce qui laisse le souffle court….