Belles histoires
Comme tous les gens qui aiment les animaux, les « belles histoires » dont ils sont les acteurs m’émeuvent. Je n’aime pas la chasse quand il s’agit d’un sport. Je comprends son utilité, et même le plaisir que l’on peut y trouver, le sens mystique que ça peut avoir.
Il y a des années Neptune m’a offert L’homme qui a tué le cerf, de Frank Waters, et j’y ai découvert l’harmonie qui peut exister entre le fait de prendre la vie et celui de survivre. J’ai lu d’autres livres de littérature indienne où la chasse est présente, comme Saison de chasse de Craig Lesley. Mon ami Roberto, un Pueblo du Nouveau Mexique, m’a expliqué combien il était important pour lui de tuer « son » cerf chaque année. Il m’a un jour montré une vieille photo en noir et blanc du « cerf de la famille » d’une année lointaine : couché sans vie sur le sol de terre battue de la maison d’adobe de Cecelia et José, ses grands-parents, on l’avait orné de colliers de heishi, turquoises et corail. Il n’y avait aucune expression de victoire, mais de vénération. Le cerf avait donné sa vie pour la famille, il y avait une relation entre eux. Il reviendrait l’année prochaine, toujours le même, pour nourrir cette famille. On le remerciait de son sacrifice. La viande qu’il allait procurer à tous durant l’hiver, c'est … la communion. Ceci est son corps, ceci est son sang, qu’il donne pour la survie des siens. C’est une chasse dénuée d’esprit de « sport », une histoire de survie et de foi, une histoire d’amour, de nature et de respect.
Ici comme partout, il y a des gens qui ne donnent aucun prix à la vie d’un animal, le considèrent comme un trophée ou un « problème » à supprimer. Ou comme un esclave, une chose qui reçoit l’écho de leur mal de vivre sous forme de coups et humiliation. Il y aussi ceux qui ne raisonnent plus et déversent sur leurs animaux-idoles tout ce qu’ils appellent amour. Ils les collectionnent et en perdent le compte, ou les traitent en déités. Et puis il y a ceux qui équilibrent compassion et raison avec plus ou moins de succès.
Dans un pays encore neuf et souvent peu peuplé, les animaux sont nombreux et disséminés. Malheureusement, si beaucoup d’entre eux ont la chance de jouir d’un territoire resté assez vaste pour qu’ils n’aient jamais à s’approcher d’une poubelle ou d’une piscine, ils n’échappent pas aux autoroutes. Les « braves gens » ne manquent pas ! On s’arrête pile (si on peut) - même ici dans le New Jersey réputé pour la hâte et la grossièreté locale – pour laisser passer un rang d’oies du Canada ou de dindons sauvages. Il est hélàs presque impossible d’éviter la plupart des animaux dans mon coin du monde, car la circulation est dense. Les cerfs traversent à la tombée du jour et, aveuglés, meurent dans un instant de douloureuse terreur. Pourtant, tout le monde cherche à les éviter, ne serait-ce que parce que les voitures ne s’en sortent pas indemnes non plus ! Mais quand on va dans des Etats plus tranquilles, aérés, on assiste bien souvent à de belles démonstrations de respect envers les animaux en détresse.
Comme récemment sur une auto-route de Caroline du nord, où un jeune ours avait été tué par une voiture. La mère, paniquée, cherchait à s’en approcher, mais le trafic l’en empêchait. La police a arrêté les voitures pendant 20 minutes, bloquant tout. L’ourse avait peur de tout ce monde et hésitait, sans se décider à partir pourtant. Finalement, elle a saisi son « petit » (40 kgs !) par la nuque et s’est enfuie dans le bois, où elle a pu le regretter en toute quiétude.
J’ai aussi vu, lors de reportages télévisés, des gens se jetant dans les eaux glacées pour sauver un chien, ou même un élan ou un cerf. D’autres travaillaient des heures pour dégager un cerf embourbé. Que dire de cet homme qui, au zoo, a plongé dans l’eau d’un fossé pour sauver un chimpanzé ? Le malheureux primate y avait été pourchassé par un autre, très en colère, et comme tous les chimpanzés, il coulait à pic. L’homme n’a réfléchi à rien et a sauté, accompagné par les cris effrayés des autres visiteurs et ceux, encourageants, de sa femme. « Sauve-le ! Sauve-le ! » Il a attrapé le pauvre animal et l’a ramené sur la rive de l’îlot, épié par les chimpanzés. Le noyé n’avait plus de force et glissait dans la boue, retombant lamentablement à l’eau, freiné par son sauveteur épuisé que l'épouse encourageait toujours. Et enfin, la vie a trouvé son chemin, a secoué son inertie, et il s’est redressé, chancelant, pour suivre des yeux cet étrange sauveteur qui repartait à la nage. Ils se sont regardé, unis pendant un bref instant par cette chose incompréhensible. Plus tard l’homme a dit qu’au moment où il avait saisi l’animal qui attendait une mort inévitable, leurs regards s’étaient croisés avec une intense confiance.
Je me souviens d’un autre reportage très touchant sur un couple qui habitait à l’orée d’une forêt. Une forêt étendue, sauvage, traversée par une simple route autour de laquelle le village s’était formé, et qui replongeait dans le feuillage dense un peu plus loin. Un jour d’hiver, ils avaient trouvé un jeune faon frissonnant, recroquevillé sur leur deck, le pelage recouvert de flocons. Ils l’ont recueilli et nourri au biberon. Il jouait à cache-cache dans le jardin, sautait comme un fou sur le lit, trottait maladroitement dans le living-room d’où il regardait tomber la neige au-dehors, sur sa liberté. Une liberté dont il ne voulait pas encore !
Il demandait à sortir pour ses besoins ! Et puis il a grandi, son pelage a perdu ses jolis flocons blancs, le printemps a constellé les branches de tendre vert, de jaune ; la pelouse s’est animée de fleurs nouvelles, l’air lui a apporté le souvenir de ce qu’il n’avait jamais connu. Perplexe, il regardait sa famille puis l’ombre touffue du bois. Chaque jour il s’enhardissait plus loin, plus longtemps, prenant conscience de leurs différences. Le soir il revenait, câlin et tendre, moins jouette pourtant. On lui a mis un collier de cuir rouge, bien visible, et bordé la route et le village de panneaux représentant sa silhouette avec le collier rouge, en demandant de ne pas tirer sur lui. Comme des parents qui confient la clé de la voiture et son passeport à leur enfant, ils ont pleuré le soir où il n’est pas revenu dormir au jardin. Et sourient quand ils le voient, immobile au bord de la pelouse, regardant cet endroit familier d’une autre vie… Oui, il y a de braves gens….