Voici comment ça commence ...
J’ai décidé de révéler le début de mon roman, « Les romanichels ». Parce que ceci, c’est un blog, des articles courts, de tons différents. Quel est donc le ton de ce livre, quelle est sa couleur, sa mélodie ? Alors voilà. Entre parenthèses j’ai mis les quelques expressions qui, dans récit, sont expliquées en bas de page.
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Je n’ai pas dormi. Et je suis en nage ! C’est plus l’énervement que la chaleur, une sorte de stress qui m’a inondée. J’ai pu trouver une place dans l’avion Linate-Bruxelles en dernière minute. Il n’y avait plus rien depuis Turin, et Pierluigi m’a conduite à Linate. M’a dit de me calmer, que ça ne servait à rien de partir voir Mammita si je restais dans cet état d’esprit. Que c’était ma mère après tout, que je devais prendre sur moi. Facile pour lui, il est Italien, les Italiens adorent leurs mères même si ce sont des sorcières, et sans doute encore plus si ce sont des sorcières. Dans leurs manigances, ils ne voient que le sincère désir de les protéger. Chaque fois qu’elles jettent une pierre dans le jardin de l’épouse, c’est pour le bien de tous… une mère ne ferait pas de mal à ses enfants, n’est-ce pas ? Comment peut-on simplement le penser ? Elle peut se tromper, emportée par la passion maternelle, mais est toujours animée par l’amour. Di mamma ce n’è una sola (on n’a qu’une seule mère)! Heureusement, ajouté-je chaque fois qu’il me dit cette stupide phrase hypnotique. Il rit. Les Italiens aiment les femmes, il faut le leur accorder ! Ils ne s’attendent pas - après des années passées auprès de leur terrible mamma - à la perfection, l’objectivité, la constance, la rigueur. Alors que je refusais de l’épouser, l’avertissant sincèrement que j’avais mauvais caractère et étais souvent de mauvaise foi, il m’a dit, tout perplexe : « Mais ce n’est pas grave, ça ! Toutes les femmes sont ainsi ! »
Bon. Il n’avait pas d’illusions, au moins. Et il m’aime tranquillement malgré nos disputes orageuses, les joutes venimeuses entre sa mère et moi, mon exaspération sans cesse renouvelée à l’égard des fantocci… ses co-nationaux.
Hier, après avoir reçu le coup de fil de Mammita, et n’ayant pas su lui dire non, je fulminais. Nous étions sur le point de partir sur l’île de Brioni, où nous allions nous retrouver avec Gigi et Francesca, Mario et Mario, et Loredana et Giancarlo. Je n’avais aucune envie d’aller à Bruxelles, chez elle, sous un ciel sans doute décevant, même pour « une semaine si tu ne peux pas plus » Mais d’habitude elle n’insiste jamais, faisant retraite dès qu’elle remarque l’ombre d’une réticence chez moi, et elle a toujours respecté la liberté. La sienne et celle des autres. Donc la mienne. Parfois même j’avais pensé qu’elle aurait quand même pu un peu insister, et me demandais si vraiment elle avait eu l’intention que je vienne. Mais hier, elle n’a pas lâché prise, m’a balancé avec subtilité « Oh, mais combien de temps partez-vous à Brioni ? » « Tout le mois d’août ! Mais Pierluigi ne sait pas rester tout le temps, et… » « Si tu veux, ne reste qu’une petite semaine, je n’aime pas te faire rater un plaisir, Pierluigi travaille beaucoup et vous en avez sans doute besoin … mais peux-tu faire un petit extra pour ta vieille schnoquesse de mère ? Juste cette fois ? »
J’ai eu un spasme dans le ventre, une sorte de pleur effrayé qui traduisait la rareté de cette situation : si Mammita insiste, elle a une raison. Elle n’a jamais été capricieuse ni vraiment égoïste. Pas proche de moi non plus, ni moi d’elle, mais sans hostilité. Un peu comme si nous étions tante et nièce, sans l’intimité qui semble parfois exister entre certaines mères et filles. Ni la froide rivalité qui existe entre d’autres. Je lui ai demandé : « Quelque chose ne va pas ? », mais elle a eu une réponse de pythie : « Eh bien, si je dois te répondre honnêtement, et là sur le tas, je dirais que quelque chose vient de changer pour moi, mais ne t’inquiète pas ! » Elle ne m’a jamais appelée pour me dire que quelque chose de bien lui arrivait… ce n’est pas le genre de choses qu’elle partage avec moi. Nous sommes plutôt du style à nous échanger bouquins, recettes de cuisine, adresses de bons hôtels…
Alors Pierluigi et moi sommes allés manger en amoureux chez Catullo, le long du Po, pour faire le deuil de cette semaine de plaisirs que nous n’aurions pas ensemble. Nous nous entendons toujours à merveille quand nous ne sommes pressés par rien. Par-dessus la nappe vieux-rose il me caressait distraitement la main, je dis distraitement mais c’est moi qui me sentais loin de lui, je le reconnais. C’est moi qui ne sentais sa caresse que distraitement. Il m’a encore promis de demander à Catullo où trouver ce Fulvio Pregl qui a peint les grands naïfs sur verre qu’il a dans l’entrée, et qui rappellent Kovacic. Ce type est toujours ailleurs quand on veut le contacter.
Pierluigi m’a dit « Prends du champagne dans l’avion, il faut te mettre dans un état d’esprit de celebrazione, sinon tu vas te fixer sur ce que tu n’auras pas, une semaine ou plus avec la banda del bucco (la bande du trou) - c’était le surnom que nous donnions à notre petit groupe, en référence à une bande de voleurs de Turin qui s’introduisait dans les magasins la nuit en faisant un trou par le toit - au lieu d’aller à la découverte de ce que Mammita veut te dire ».
J’en suis à mon second verre. Encore un peu déçue toutefois en imaginant Pierluigi qui charge la voiture tout seul, prendra l’autoroute tout seul, et ouvrira la villa tout seul. Les autres n’arrivent que demain en fin d’après-midi. Ils feront leurs premiers bains en braillant vamos a la playa, oh ! oh-oh-oh, et seront bronzés quand j’arriverai avec mon teint bruxellois, auront déjà épuisé le plaisir des premières grillades de dorades sur le barbecue du jardin, se seront raconté tous les commérages. Je ne devrais pas, je le sais, me laisser aller à la râlette. C’est vrai qu’on va à la villa tous les ans, parfois aussi pour un pont, et de toute façon, on se rend aussi souvent du côté de San Remo, où Gigi et Francesca ont une cascina (petite maison campagnarde) en colline. Il m’arrive même de me sentir lasse de leur compagnie, nous ne nous disputons jamais, mais au fond, nos vies sont toujours les mêmes, et ce qui nous fait rire, ce sont presque toujours les vieilles histoires racontées cent fois. Celles qui commencent par je n’oublierai jamais la fois où… et raconte encore cette histoire pazzesca (dingue) avec ton premier fiancé, etc… Il n’y a que Mario et Mario qui trouvent toujours des nouveautés tout à fait abracadabrantes, qu’on ne croit pas à cent pour cent, mais qui nous font sortir les yeux de la tête, ou hurler de rire, ou nous enlèvent le sommeil d’inquiétude… Que va me dire Mammita ?
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Eh oui, que va donc bien dire Mammita ? Bien des choses. Toute une vie, de l’amour et des haines profondes, des cris de joies et de déchirement. Un secret. Le poids des différences, des conventions.
Et voici aussi les impressions de mes deux dernières lectrices : Fauvette d’abord, découverte de blog à blog, qui s’est laissée tenter, et m’a mis ce gentil commentaire :
Mais j'ai le plaisir de te dire que j'ai fini ton livre. Honnêtement, j'ai adoré ! Quelles vies, si différentes sur certains points mais aussi si semblables sur d'autres... (…) ! Quel déchirement ! Tout ça pour la bienveillance et les "qu'en dira-t-on ?"... Je dois être un peu rebelle, je m'en rends compte...je déteste les rituels, les obligations parce qu'on a toujours fait comme ça et qu'on n'a jamais vu faire autrement....A bas les visières et les idées toute faites !
Un livre superbe à lire, qui vous emmène en voyage, au travers de vies si bien contées ! Et pourtant, à voir la couverture, je n'étais pas tentée...comme quoi il faut passer au-dessus pour pouvoir profiter de ce si bel écrit ! A quand ton nouveau roman ? Je suis vraiment impatiente de pouvoir à nouveau te lire !
Et puis Carine-Laure Desguin, auteure de l’écurie Chloé des lys, dont on attend la sortie du livre très prochainement. Cet avis, elle l’a mis – avec l’amour de la rime primesautière qui la caractérise – sur le forum de l’éditeur. A la suite de quelques réparties taquines, je lui avais demandé si elle me suivait. Et voici la réponse :
Que répondre à cette question ?
Les aînées ont bien sûr raison !
Oui j'aimerais te suivre
J'aime bien moi lire ton livre !
Demande-moi lequel ?
Heuuu "les Romanichels" !
C'est gai et page après page
ça glisse et ça déménage
Une très belle histoire de famille
Les sentiments se déshabillent
Les châteaux se désargentent
On s'enchante et se désenchante
Et de Verviers vers l'Italie
Tout est écrit rien ne s'oublie...
Et puis, laissez-moi vous annoncer que la blogosphère de TV5 a retenu mon blog comme étant parmi les meilleurs de la langue française, un plaisir et un honneur que je ne peux pas vraiment passer sous silence! Je m'y trouve donc représentée sous la rubrique Littérature.