Le Roi et moi
Dans le buffet liégeois blond du palier du premier étage se trouvaient des albums de cartes postales sur la famille royale. Je pouvais les regarder si j’avais les mains propres et en tournais les pages avec soin et respect. C’était souvent Mademoiselle qui se chargeait de me superviser, car elle aussi adorait notre famille royale, qui sait pourquoi puisque Mademoiselle était Hollandaise et avait la sienne, de famille royale ! Mais elle avait une passion ingénue pour Baudouintje, et la collection de cartes en effet s’arrêtait à l’enfance de Baudouin, Albert et Joséphine-Charlotte. Les enfants royaux, m’affirmait-elle, ne parlaient pas à table, finissaient ce qu’il y avait dans leur assiette, ne se salissaient pas en jouant, n’écoutaient pas les conversations des grands, et rangeaient leurs jouets. Elle nous entraînait à d’exquises manières : mon frère au baise-main et moi à la révérence, et nous exhibions nos talents quand ma mère avait des invités qu’il fallait émerveiller un peu.
Bien plus tard j’ai vu Baudouin lors de défilés à Verviers. Avec l’école nous bordions la rue de la Paix en agitant des drapeaux belges et hurlant vive le Roi, vive le Roi ! Nous ne voyions rien ou presque, juste la voiture et le profil du roi en habit militaire, et cependant je n’ai retrouvé la même excitation qu’encore plus tard lorsque je suis allée voir Claude François au Coliséum. On n’est adolescente qu’une fois, et ça ne dure pas longtemps …
Le roi Léopold III avait décoré ma grand-mère pour services rendus pendant la guerre, et plus tard la reine Fabiola, en visite à Verviers l’a re-félicitée, ma vieille Edmée alors en chaise roulante et qui rougissait de fierté comme l’espiègle jeune fille qu’elle avait un jour été. Oui, elle avait aussi pris ses risques pour défendre la liberté de sa petite patrie. C’était le second plus beau jour de sa vie, le premier ayant été sa visite au Pape. Nous taquinions mon grand-père – Jules – en lui disant que le jour de son mariage ne devait pas figurer en bonne posture dans la liste… (Elle était furieuse contre son beau-père qui lui avait promis un cheval en cadeau, et qui avait changé d’avis. Je ne sais pas ce qu’elle a eu à la place, mais … un mariage contre un cheval, et rien d’autre !)
Elle m’avait prêté ses livres chéris : Albert le Roi chevalier et Astrid la reine au sourire, pour faire un concours de rédaction interscolaire – qui m’a valu le 11ème prix de toute la Belgique, mon premier triomphe d’écriture ! Quand Albert et Paola se sont mariés, j’ai plongé dans l’idolâtrie populaire d’alors. Il m’a fallu ma « poupée Paola », avec sa robe de mariage et son tailleur de départ en voyage de noces… On ne parlait que d’elle. Ma tante Yvonne secouait tristement la tête en disant qu’elle avait lu que la pauvre avait le cafard avec toute cette pluie et ce ciel gris, tst tst tst pauvre petite. On croisait les doigts pour qu’elle tienne le coup, qu'elle finisse par nous aimer, par aimer notre petit bout de pays. Belle comme une fée du soleil, vivant dans le palais des pluies…On avait emprisonné un colibri dans une serre sombre, et on avait mal pour elle, nous qui partions en hordes en Italie pour voleter au temps des vacances ! Je vois encore quelque part – chez ma bonne Edmée je crois – une boîte de biscuits en métal avec la photo du jeune couple princier.
Je viens donc d’une famille royaliste, et le suis restée à mon tour. J’aime notre famille royale sans rien remettre en question, dans une confortable continuité.
J’ai vu le roi et la reine alors qu’ils étaient encore Prince et Princesse de Liège à Turin, et leur avais trouvé la beauté des gens simples et gentils. Je me souviens qu’alors que la gentry turinoise paradait en noir grand soir – pour un cocktail à 19 heures – et était bardée de bijoux, le Prince et la Princesse portaient du gris et du beige, avec beaucoup de décontraction. J’étais dans la même pièce, mais ne les ai pas approchés (pour ceux qui croiraient que j’ai fait tchin-tchin contre les verres princiers … eh bien non ! Et ça m’arrangeait bien, car je n’avais plus pratiqué ma révérence depuis le départ de Mademoiselle).
Aussi, quand j’ai eu l’occasion de lire le dernier livre de Vincent Leroy sur le prince Laurent et son épouse, c’est avec un réel plaisir que j’ai cédé à la tentation. Et j’ai bien trouvé le personnage que je pensais y trouver. J’avais apprécié la position de Laurent pour les animaux. Les animaux dont le bien-être est entre nos mains d’une façon ou d’une autre. Et donc j’ai pu lire un peu plus en détail les ambitieux projets que le prince nourrit pour eux, et qui pour certains sont déjà appliqués aux USA, comme les cabinets vétérinaires ambulants qui se rendent dans les quartiers des gens. J’ai aussi découvert une personnalité intense, que l’on soit d’accord ou non, qui veut être lui-même avant d’être un prince. Et qui affronte avec son tempérament décidé les tromperies du regard des autres. Oui, j’ai aimé ce livre qui ne prend pas parti, mais se sert de faits et des mots du prince même. Sa sortie a été célébrée par d’autres sites (famille royale belge, et Noblesse et royauté par exemple), et je vous en conseille sincèrement la lecture. Bravo Vincent, et merci pour nous offrir ce regard sur un couple bien attachant...