Au fil de l'eau
Jamais je n’ai vécu aussi près de l’eau. Verviers était traversée par la Vesdre, mais il me fallait descendre en ville pour la voir, et je ne la regardais pas beaucoup, la pauvre rivière. Pourtant nous savions tous que ses berges donnaient naissance à des fleurs dont les graines nous étaient arrivées par la laine de moutons qui venaient de ces lieux légendaires et familiers à la fois que l’on ne gagnait alors que par de longues traversées en bateau. Nous savions aussi qu’il y avait des rats – je n’en ai jamais vus – que l’on tentait de supprimer sans que les villes qui se partageaient la rivière ne s’accordent sur la date, si bien que les rats se contentaient de faire un peu de tourisme pour survivre. Il y avait eu, aussi, des castors. Par la fenêtre du train j’aimais voir les courbes de la Vesdre bordée de prairies, longeant la route ou l’arrière de jardins paisibles où aboyait un chien.
Bruxelles, il y a la Senne, dont je n’ai jamais vu l’ondine puisqu’on l’a recouverte.
Aix-en-Provence, le petit Bayon clapotant, dans lequel je me suis si souvent jetée toute habillée en été, pour m’y trouver nez à nez avec des rats peu impressionnés. Moins que moi en tout cas.
Turin, le Po, ah le Po, si je l’aimais… et pourtant il savait être sans pitié, comme cette fois où j’ai vu un cheval qui y était tombé avec une carriole, et que l’on ne pouvait sauver tant le courant était fort. Lui combattait sans espoir, nous regardant d’un œil fou. Mais j’y ai fait une belle promenade en barque et heureusement, mes deux galériens – deux étudiants grecs un peu dépassés quand même par la force inattendue du fleuve – ont su nous garder loin des chutes que l’on entendait rouler pas bien loin.
Viroinval, oui… on avait même notre embarcadère et barque sous les fenêtres, notre cabine de bain sur l’eau blanche. Des rats aussi, et des nénuphars. Le « tournant Marquise », le petit pont sous lequel on avait un écho extraordinaire, les chutes, la tannerie et ses odeurs inoubliables, la mente dans les prairies, les peupliers plantés par mon arrière-arrière-arrière grand-père. Oui, j’étais près de l’eau alors, mais c’était une petite eau, une rivière charmante qui s’engouffrait sous des ponts anciens, se faufilait entre les roseaux, s’écartait devant les pierres, portait aimablement notre barque pour nous emmener pour un pique-nique dans l’herbe…
Les USA, oui. Il y a eu la Ramapo river, et la Watsessing, la Passaic. Mais elles sont domptées, enserrées dans des berges de ciment, souvent même inapprochables. Et les tournants recueillent, dans un bercement écoeurant, une multitude de bouteilles de plastique vides, abandonnées par les « amoureux de la nature » qui viennent pique-niquer ou pécher, abandonnant le rat race pour une après-midi et leurs vidanges pour la vie.
Mais ici… je suis au bord. Et j’aime le bruit mouillé des bateaux, canots, péniches, bateaux-mouches qui font l’ordinaire du trafic.