Le charme des vices d'antan
Ah, les vieux films en noir et blanc! Emplis des "vices" élégants d'alors, grands tabous d'aujourd'hui.
Des femmes aux cheveux souples fumaient, affirmant avec grâce une modernité sensuelle. Car la fumée créait un halo marbré, mouvant et diaphane, comme si l'émanation de leur nature voluptueuse s'échappait d'entre leurs lèvres peintes. Leurs longs cils courbés déposaient une ombre amoureuse sur leurs joues pâles et poudrées, nimbées d'une flagrance florale. Elles buvaient gaiement du champagne, riant avec insouciance, parfois adorablement "tipsy". Ou, femmes fatales aux pupilles transparentes, elles se versaient un bourbon dans un gros verre ouvragé, y entrechoquant les glaçons d'une main ferme.
Elles étaient, déjà, soit de dangereuses partenaires oscillant entre la panthère et la chatte, redoutables mais irrésistibles. Ou, selon l'image d'alors, fantasques et naïves, toute prêtes à aimer un homme sans conditions. Les premières se distinguaient parfois par une gifle sonore appliquée sur la joue d'un homme impertinent, ou répondaient avec des yeux pleins de fureur et un mouvement soyeux de la chevelure à celle que leur impertinence leur avait value. On n'y voyait pas les prémices d'une relation violente mais la preuve d'une passion intense. Le second type d'héroïne avait des enthousiasmes enfantins et une confiance illimitée, avec pourtant une ruse tendre et subtile qui ferait d'elle l'heureuse mariée du Happy Ending.
Elles étaient oisives et minces. Toujours élégantes, avec à disposition une denrée qui cependant n'existait déjà plus: le temps. Un coup de brosse dans des boucles parfaites au réveil, un passage de la peau de chamois sur des ongles ovales, une touche de rouge à lèvres, et elles étaient miraculeusement prêtes pour une nouvelle journée dont les couleurs radieuses leur parvenaient par la fenêtre, au-delà de la coiffeuse où se côtoyaient des flacons de parfums de tailles et formes différentes. Elles resserraient sur leurs hanches étroites une robe de chambre soyeuse, et leur démarche en faisait danser les plis dans un lent mouvement aquatique.
Les hommes étaient toujours polis, buvaient et fumaient, volaient des baisers à des femmes d'abord farouchement combattives mais qui s'abandonnaient mollement à ce sortilège et les étreignaient alors de leurs mains baguées. Jamais décoiffés, jamais pris de court. Les coups de poings eux-mêmes semblaient polis, et on en effaçait le souvenir en s'essuyant la lèvre avec un mouchoir repassé de frais, et remettant le revers du costume en place. Ils offraient des robes du soir à la bonne taille, et des bracelets de diamants.
La magie du noir et blanc allongeait les ombres, divinisait les contrastes. La moindre cage d'escalier avait des clair-obscurs de cathédrale.
Le cinéma d'alors, c'était le rêve. On savait qu'on ne ressemblerait jamais à ces êtres idéaux, on était juste heureux qu'ils existent. Sur l'écran, enfermés pour nous dans ces salles pompeuses à balcons à moulures, rideaux cramoisis et fauteuils de velours. Dissimulés derrière des noms: le Sélect, le Pathé, le Coliseum, le Parc, l'Eldorado, le Mirano... Avec ces ouvreuses en uniforme, armées d'une lampe de poche et d'un programme.
Que mon frère les enviait, ces ouvreuses, qui pouvaient, depuis leur petit strapontin, voir tous les films pour rien! La nostalgie du cinéma d'autrefois le suivra toujours et partout, comme en témoigne son livre Version originale pour un doubleur.
Jamais, au sortir d'un film, ne nous demandions-nous si nous aussi nous serions un jour glamoureusement en train de boire whisky ou champagne et d'échanger des baisers de fauves, les joues encore brûlantes de la dernière gifle. Nous savions que ce n'était qu'un rêve. Parfait comme un pur esprit, inaltérable, jamais terni par la réalité.