Deux petites Rroms...

Publié le par Edmée De Xhavée

Zingarelle.jpgFinalement, ce sont elles, mes belles petites flammes rroms, qui danseront sur la couverture de mon roman! La vue de la montagne Sainte-Victoire ne s'y trouvera que symboliquement dans le fond, discrète et pâle, et puis en médaillon au dos. Mais j'ai cédé à l'envie d'avoir une couverture très belle, très professionnelle. Et comme Jean-Pierre Ghys venait de m'envoyer le projet de celle que je lui avais demandée pour le second roman et qu'elle est... un rêve!, je n'ai pas hésité. Je lui ai donc envoyé ma bio, ma photo, l'introduction du roman, et la photo de la Sainte-Victoire. Et, juste au cas où, celle de ces deux petites Rroms. Et là, sa sensibilité lui a parlé, et il a su comment exprimer la chaleur, la lumière, le flamboyement de l'amour que moi, j'ai mis en mots. Et je l'avoue, j'en ai été bouleversée car je m'étais figée sur la montagne et ne voyais plus rien d'autre.

Alors que je vivais à Turin, en 1986 un camp de Rroms korakane (originaires de Serbie et musulmans) s'était installé à Borgaro Torinese, aux portes de la ville. Et parce que la population locale n'était pas exactement emballée, les autorités ont organisé une journée de rencontres.

J'avoue que j'ai toujours été attirée par les Tsiganes - après tout, ils sont un peu l'équivalent des Amérindiens dont on déplore tant la disparition et la mise en réserves des survivants - mais en même temps, je me tiens prudemment à l'écart. Quand je suis arrivée à Turin, il y en avait partout dans les rues. Surtout des femmes, avec un bébé dans les bras, psalmodiant: "Buona fortuna signora, buona fortuna", offrant une petite chiromancie standard et lucrative. Un jour de grande témérité je me suis laissée tenter. J'ai dû, pour commencer, mettre deux billets de 1.000 lires en croix dans la paume de ma main ouverte. D'un air navré ma Tsigane m'a annoncé que j'étais triste. Et que c'était parce que les morts me voulaient du mal. Mais ce n'était pas grave du tout car il suffisait que je lui confie ma bague en or et qu'elle irait la jeter dans un cimetière, après quoi tout rentrerait dans l'ordre. Tout en me décrivant son plan très ingénieux, elle tirait avec beaucoup de fermeté sur mon doigt pour le déplier et en faire glisser ladite bague, tandis que je le repliais avec autant de volonté pour ne pas avoir une bonne raison d'être vraiment triste! Ceci dit, je ne lui en ai pas vraiment voulu. D'autant plus que j'ai su garder ma bague. Elle m'a sifflé: "Tu cattiva donna!"

Je ne les connais pas bien, ne les comprends pas du tout, les crains parfois. Mais ce sont des tribus d'hommes et de femmes libres et quelque part, ça me fait les admirer. J'en ai approchés certains. J'ai même dansé avec un très beau Rrom en chemise de satin lilas à cette fête de Borgaro Torinese! Il y avait, à Aix en Provence un Gitan, que dans le plus grand secret de mon coeur, je surnommais "Oeil de poule". Un de ses yeux avait la paupière inférieure qui restait à mi-chemin, comme chez une poule. Avec son petit groupe il venait chanter le soir dans un restaurant estudiantin dont j'étais la cliente assidue, et comme il avait remarqué que j'aimais ce morceau, il me souriait gentiment en chantant "Amor, amor, amor...". Il ne draguait pas, il ne faisait que partager du bonheur avec moi. Nous venions de deux mondes étranges l'un pour l'autre, mais pendant qu'il chantait, on était dans le même. Il y a eu aussi un épisode désagréable dans la vieille ville de  Carcassone au cours duquel de jeune Gitans nous ont encerclés, mon compagnon et moi, pointant leurs couteaux. Leur raison: ils avaient mal interprété un hommage bruyant que mon compagnon avait fait à Sara la noire et se croyaient insultés. Et surtout, ils étaient très saouls. Pas drôle. Mais nous avons été sauvés par notre ami Irlandais, Peadar, accompagné d'Hyppolite, le chef de leur tribu. Avec calme, autorité, et sans menace aucune. Hyppolite était très gentil et doux. Et en dehors d'être le chef de la tribu, il ramassait les ordures, accroché à l'arrière du camion qui traversait la ville au lever du soleil.

Qui n'a pas, parmi ceux de ma génération, rêvé sur la musique de Django Reinhardt ou son cousin Schnukenack? Ma mère, l'initiatrice de bien des passions qui m'habitent encore, m'avait emmenée voir "J'ai même rencontré des Tsiganes heureux" d'Aleksander Petrovic en 1967. Nous avions adoré. Oui, ils étaient sales, bagarreurs, buveurs, mais quelle vitalité démesurée! Quelle musique! Et Bekim Fehmiu nous semblait bien bel homme malgré les plumes d'oies et la boue qui le recouvraient souvent... Ensemble aussi nous avons regardé "L'ange gardien" de Goran Paskalevic à la télévision plus de vingt ans plus tard. En Italie j'ai vu "Le temps des Gitans" du bel Emir Kusturica en '88 et ici, aux Etats-Unis, j'ai pu voir "Chat noir, chat blanc" du même Emir! Comment ne pas être fascinée par ces "gens du voyage" qui chantent et vivent à pleine joie malgré l'hostilité qui les encercle comme dans un enclos de méfiance? Malgré le souvenir des camps de Marzahn, de Jasenovac, de Himmler, de Josef Mengele...

Lors de cette fête de "socialisation" entre Rroms et Italiens, qui n'avait rien d'une fête folkorique pour touristes, mon ami Gigi et moi les avons vus et entendus s'amuser dans un joyeux désordre. Gigi s'est fait prédire un avenir qui n'est jamais arrivé mais qui l'a enchanté et lui a permis d'attendre que son avenir réel ne le rencontre. Nous avons dansé avec des Rroms à la peau brune, aux longs cheveux un peu ondulés, timides dans leurs habits bariolés de couleurs. Ils se hélaient et s'esclaffaient en voyant leurs amis ou parents dansant, eux aussi, avec des Italiens ou Italiennes. Ca sentait le mouton grillé, les braises de bois, les épices. Les enfants se poursuivaient, des chiens se jalousaient des os où les restes de viandes se mariaient avec la terre, des femmes allaitaient leur bébé, assises, la cigarette aux lèvres, le sourire dans les yeux. Et puis le soir il y a eu l'orchestre et les chants: trilles, violons, tambours, cithares, voix au timbre roucoulant et plaintif. Et ces deux fillettes qui ont eu envie de s'amuser sont montées sur la petite estrade et ont dansé avec la légèreté de deux flammèches, gracieuses et langoureuses, vibrant de leur liberté éternelle.

Publié dans Romanichels

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U
Bravo pour votre blog que je viens de découvrir (grâce à celui de Cathy Bonte), meilleurs voeux pour l'année 2008 et au plaisir de lire vos commentaires sur http://journalpetitbelge.blogspot.com
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E
Merci de votre visite, et je m'en vais "de ce pas" visiter votre blog!
N
Comme ta plume a le don de nous emmener exactement là où demeurent les émotions, exactement aussi fort que lors de ces communions mystico-musico-conviviales que le reste des mortels a généralement tant de mal à exprimer et que tu reproduis avec merveille, car tu as sans doute gardé cette connexion avec l'indicible et l'au-delà en gardant cette bague que la Gitane voulait "jeter dans un cimetière" ;-D<br /> Cet état de grâce indicible, Les Gitans et gadjés d'ici qui évoluent dans la sphère du flamenco l'appellent le duende, les mystiques musulmans le tarab, et je pense que c'est un des plus beaux moments qu'il est donné à l'homme de vivre...<br /> Tu dois ABSOLUMENT venir découvrir "mon" Sacromonte quand tu viendras me rendre visite, c le quartier troglodytique de Grenade où vivent et s'expriment artistiquement les Gitans andalous...<br /> Besito et merci pour partager ce moment avec tes lecteurs. POur ma part je vais découvrir le bloc d'Anaïs, ah nice :) et aussi celui de Luc!
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E
Merci de ton commentaire, chère Nathalie! Je suis contente que tu aies pu voir au-delà des mots, car vraiment il y a en efffet quelque chose de très mystique dans ces rencontres avec eux si on se laisse, au moins pour un instant, envelopper dans leur aura!  Bonne lecture chez Anaïs et Luc! Bisous