Un tango avec Jeannot

Publié le par Edmée De Xhavée

Dans ma voiture j’écoute en boucle, et sans m’en lasser, le CD du Buena Vista Social Club . En pensée, alors que je roule sagement dans les rues de West Orange, Verona, et puis Montclair, je me sens un corps jeune et agile qui s’indiscipline beaucoup à ces rythmes de samba, boléro  et autres douceurs sud-américaines. Je sens toute la sève de jouvence qui sort de la musique et des voix de ces septuagénaires qui célèbrent le mouvement de hanches de Chan Chan sur la plage, ou Tula qui n’a pas éteint sa bougie et a mis le feu au quartier. Ou cette délicatement triste et heureuse évocation de leur loca juventud.

 

Mais il y a aussi un morceau uniquement musical qui a des accents de tango. Et Dieu que j’ai envie de le danser, ce tango !

 

Je le dansais autrefois avec mon père, assise dans ses bras, le mien – bien court - tendu avec ma main emprisonnée dans la sienne, certaine de ma grâce et de mon identité. J’étais sa fille, sa fleur et sa chatte, la poupée de ma mère, leur puce et plus tard, bien plus tard disait-il, on donnerait un grand bal pour mes 18 ans qu’il ouvrirait avec moi. Il aurait un smoking blanc et on danserait un tango qui laisserait l’assemblée sans voix. Je le suivais volontiers dans ce rêve de film, convaincue que ce bal aurait lieu sur une majestueuse terrasse quelque part en Uruguay ou Argentine où l’emmenait sa nostalgie.

 

Je ne connais guère les pas adroits et emmêlés du tango et ne serais probablement pas douée. Je suis souple d’esprit, mais pas de corps. Et pourtant, riez, riez donc, mais j’aimerais beaucoup savoir danser aussi la valse (que j’ai dansée si l’on veut dans les bras de Monsieur La saucisse comme évoqué ici, mais le pauvre a dû se demander ce qui lui avait pris de se lancer dans cet exercice de musculation).

 

Et ce tango, je ne voudrais pas en faire une parade sexuelle, bien sûr que non ! Je voudrais qu’il soit surtout tendre, avec l’honnête volupté de poser sa tête sur une épaule et de savoir que c’est permis, que c’est sa place pour cet instant, que c’est une communion gentille et pleine d’une longue litanie de souvenirs qui nous unissent, lui et moi.

 

Alors je voudrais le danser avec Jeannot !

 

Jeannot, ami de mes parents, l’homme au grand sourire et à la voix qui charme, l’homme qui aime, qui est bon, rieur, discrètement artiste, éternellement jeune. Jeannot que, avec sa femme, nous rencontrions souvent sur les routes à l’étranger (Suisse ou France) avec surprise et amusement. Une décapotable auréolée de joie nous croisait ou nous dépassait, pouêt pouêt, des mains s’agitaient, et …. Mais que donc font les C*** ici aussi ? On riait, on concluait que les C*** étaient décidément partout. Elle avec son foulard à la Brigitte Bardot, et lui qui me faisait penser à Curt Jurgens.

 

Quand ma mère était sur le point de mourir et qu’elle s’efforçait de contacter tout le monde pour dire son adieu – grande dame qui ne songeait pas à quitter la scène sans saluer les autres acteurs -, Jeannot, à ma demande, l’a appelée. D’Argentine où il vit. Un ami qui remontait cinquante ans de passé pour lui dire adieu mon amie d’alors, je ne t’oublierai pas, c’était beau. Et courageux car ce n’était pas un coup de fil facile…

 

Alors, Jeannot, on le danse, ce tango ? On rirait pas mal, moi la petite puce devenue bobonne (oh je sais, tu me dirais que je suis jeune et charmante, et finalement, ça me ferait plaisir, j’avoue…) et toi le monsieur devenu monsieur âgé de corps et pas de cœur. Moi pas souple, toi plus souple. Mais on pourrait tricher, et ma tête sur ton épaule je penserais aux jours heureux, tu penserais aux mêmes … on se dirait que tout a passé si vite, mais qu’on a savouré tout ce qu’on a pu, et qu’on compte bien continuer !

 

J’avais à peine terminé ce billet que mon père m’a appelée pour notre bavardage hebdomadaire. « Jeannot est à Bruxelles, » m’a-t-il dit « et trop occupé pour que l’on se voie, mais il m’a demandé de t’embrasser quand je te parlerai ». La tendresse voyage, émet ses ondes, et la réception est bonne.

 

Jeannot.jpg

                                                         Auto-portrait de Jeannot

Publié dans C'est tout moi - ça

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Commenter cet article
L
<br /> Merci pour votre passage chez moi sur Durbuy et merci au "petit belge" d'avoir permis que je passe chez vous, votre plume est un délice, je me permets de mettre un lien chez moi pour venir gouter<br /> votre prose qui m'a bercée, merci de partager votre talent<br /> amicalement<br /> Laura<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci mille fois Laura, je fais de même. Votre blog est varié, je viens de lire les suggestions achat dans la ferme bio etc... et j'ai vu un joli tableau de vous sur le côté. Plein de choses à<br /> voir! Merci<br /> <br /> <br /> <br />
O
<br /> Un article très émouvant ... sublime...<br /> Bises,<br /> Olivier<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci mille fois, Olivier! Bises!<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Eh bien voilà ! comme mon PC, ne lambine pas ce matin, j’en profite pour faire des visites. Je sais ce n’est pas une heure pour aller chez les gens, mais dans le virtuel ! …<br /> Je reviens de chez Carine-Laure, et je te trouve toute triste, regrettant ceux qui sont en Vacances, mais vu tous les commentaires que votre sage tango au goût du passé suscite, tu n’as pas à te<br /> plaindre ! Mais tu le mérites, car tes nouvelles ne laissent pas les autres indifférents. Ce que tu écris est toujours savoureux et tu attires bien du monde sur ton Blog et dans ta boite de<br /> dialogues.<br /> Moi, vois-tu, n’ayant pas la chance d’avoir une voix de sirène, ni le corps non-plus d’ailleurs, malgré mon âge canonique, lorsque j’entends une belle musique langoureuse, je l’accompagne d’un bel<br /> homme dans sa fleur. Je rêve quoi ! comme je l’ai toujours fait ! Mais dans le réel, si j’avais encore de vieux amis sur l’épaule de qui appuyer ma tête pour danser un tango souvenir, j’en<br /> éprouverais bien du plaisir !<br /> Allons assez de nostalgie ! Toi qui m’avais redonné le sourire, tu ne vas pas m’embuer les yeux avec ton charmant Jeannot !<br /> Vaya con dio Edmée !<br /> Florence<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Oh non chère Florence, je ne me plains pas. C'est que Carine-Laure et moi assurons vaillemment la sruvie du forum de Chloé des lys pendant que tout le monde semble en vacances, et nous ne savons<br /> plus de quoi parler, ha-ha-ha! Nous semblons deux vieilles poules qui font un cooooot de temps en temps!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je vois que mon cher Jeannot a créé bien des émotions, s'il savait! Mais c'est vrai que se souvenir des amis, des gens qui étaient déjà là quand nous hésitions encore sur les mille projets<br /> d'avenir que nous avions, et qui y sont encore ... c'est un privilège. Jeannot avait un ami dessinateur (Raymond Macherot, créateur d'une Bande dessinée belge) et lui avait montré mes<br /> illustrations - alors des dessins des chutes du Zambèze, je me souviens - pour s'assurer de mes talents. J'avais trouvé ça si gentil. D'autant que l'avis de Raymond Macherot avait été<br /> encourageant . Mais tu vois, j'ai troqué le pinceau pour la plume!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonne nuit cher Florence<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> bonne journée!<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Bonne nuit ...<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> hello;-)<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Hello aussi <br /> <br /> <br /> <br />