Les impures
Et voilà qu’on arrivait à l’âge où on « était une jeune fille ». Les garçons faisaient des couacs avec leur voix, et nous on avait de la poitrine naissante et les règles entraient dans notre vie. On nous mettait bien en garde contre notre mauvaise humeur de « ces jours-là » que l’on devait vaincre. Et on vivait ces jours-là dans la honte : personne ne devait soupçonner que nous étions normales. Je laisserai de côté l’horreur des serviettes à laver, car je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître : les serviettes à jeter étaient un gaspillage et nos mères avaient survécu aux lessives et nous le ferions aussi. J’ai dû lutter pour que la mienne cède…
Il faut dire qu’à elle, on n’avait rien dit et que quand elle a eu ses règles en classe, elle croyait être en train de mourir ! Et comme elle était dans un pensionnat religieux, on l’a enveloppée dans une couverture pour la faire sortir de la classe, ajoutant à sa frayeur : elle était non seulement mourante mais elle choquait tout le monde… Quant à son premier soutien-gorge, elle se l’est cousue elle-même en cachette car on ne parlait pas ce ça…
Il n’y avait qu’à la meilleure amie que l’on confiait en classe que… je suis T.I.X ! C’était le code hermétique que mon amie Bernadette et moi avions imaginé : la première et la dernière lettre de Tampax. Le seul avantage de cet état peu agréable était qu’on avait une excuse toute trouvée – et invérifiable - pour ne pas aller au bassin de natation ni à la gymnastique. On devait chuchoter cette confidence humiliante au professeur, sous les ricanements des autres qui savaient que nous étions impures… C’est pas ça… on ricanait aussi de la malheureuse fille un peu précocement développée qui dans la classe était la seule à avoir de la poitrine, et comme les soutien-gorge pour petites gorges d’adolescente étaient rares, ladite poitrine faisait le balancier…
Bernadette et moi étions tix presqu’en permanence, surtout si on devait sauter sur le cheval d’arçon – nous aimions assez les espaliers. Et moi rien que de penser au terrible monsieur Bodeux au bassin de natation, ce fin psychologue qui pour faire passer ma peur de l’eau m’y a jetée en m’en dégoûtant à tout jamais et encore après, je me sentais tix, très tix.
Plus tard, en vacances en Italie, alors que je refusais en rougissant d’aller faire trempette avec les autres et de me mettre en bikini, les Italiens, informés par des bataillons de mammas et de sœurs, constataient sans étonnement « ah ! tu as tes règles » … oh que la vie était donc simple tout à coup ! Je pouvais même être d’humeur fragile… Je n’étais plus impure ces jours-là… j’étais seulement un peu nerveuse.