Meilleurs voeux de Hlébine
Cette fois, on y est, c’est l’hiver ! Il peut vous sauter dessus, ici, comme une mauvaise fée des glaces, et tout figer sous la pression de son doigt de cristal. C’est beau si on ne doit pas sortir, ah oui, vu de la fenêtre c’est superbe, cette étrange mer blanche immobile, à la surface luisante. Cet alignement, à l’arrière de ma maison, de troncs nus jaillissant avec calme de cette couette polaire. Ça donne même une sensation de protection, d’isolement d’un froid encore pire.
Mais conduire sous l’envol si léger et si implacable des flocons, sous l’assaut du verglas, non, ce n’est pas ma cup of tea.
Pas plus que dégager la neige des pare-brises, de l’allée, de sous la voiture, du seuil… Hier mon Nemrod de Zouzou est tombé sur les marches en courant à ma rencontre, trahi par le verglas. L’hiver et sa froidure sont pour moi une idée romantique mais une réalité peu appréciée. Petite, l’onglée me faisait craindre les jeux de traîneau, de glissades, de boules de neige. Je ne pouvais pas vraiment m’y soustraire, mais c’était un martyre haï !
Et cependant, j’ai tant aimé ces tableaux de Fulvio Pregl , véritable hymne à la neige, au froid, à une vie dure au-delà de l’imagination. Mais il y mettait un silence, une acceptation paisible. Aux petites fenêtres des chaumières de branchages on voyait luire la chaleur emprisonnée, on imaginait le brûlant baiser que ces humbles paysans ressentiraient en y pénétrant, avec quel plaisir ils sentiraient le sang se remettre à courir dans leurs doigts engourdis avec une douleur fulgurante annonciatrice de soulagement. Ils déposeraient leur fagot de bois sec près du feu, et respireraient l’odeur familière de leur logis, sentant le repos prendre place dans leur esprit et dans leur corps. Les pleurs d’un enfant plisseraient leurs visages rougis d’un sourire.
Il me reste deux photos bien imparfaites hélàs : cette œuvre hivernale et colorée, pleine d’activité et d’amour de la Croatie d’autrefois.
Et cette noce paysanne, fleurie et gaie avec, toujours, cette chaumière où se cachent tous les secrets de ses habitants, le trousseau conservé dans un coffre-banc, un miroir piqueté et fêlé, peut-être un petit tapis élimé venant d’une grand-mère. Le lit conjugal où on conçoit les enfants pour les y mettre au monde plus tard. Un violon de mauvaise qualité, des jarres avec les œufs, une table massive. L’écho des rires et des disputes, des jeux des enfants, du dernier soupir des vieux. Les gémissements d’un chien favori. Fulvio Pregl travaille sur verre, à l’envers selon la méthode de l’école de Hlébine, berceau de Generalic.
L’école de Hlébine est un mouvement artistique très intéressant, parce qu’il est né spontanément du désir de peintres paysans du nord-est de la Croatie (Ivan Generalic, Granjo Mraz et Mirko Virius) de travailler ensemble. Ils ont créé ce style naïf sur verre, qui chantait la vie paysanne qu’ils connaissaient, ses charmes et ses labeurs. Les artistes de Hlébine ont pris leur grand essor en 1945, avec notamment Kovacic.
Fulvio Pregl est allé sur place pour rencontrer le fils de Generalic et observer la technique, et vit – survit plutôt, comme tout peintre maudit qui se respecte – de sa peinture depuis plusieurs années. Il commence par la signature, écrite en miroir, et termine par le ciel. S’il rate son ciel, tout est à refaire. S’il rate les pas dans la neige, il faut aussi recommencer. Mais c’est toute une histoire qui est emprisonnée dans un tableau, et chacun peut la libérer comme il le veut. Imaginer les veillées où le village se réunit pour nettoyer les châtaignes, tandis que le vieux Vladimir raconte les légendes pour que les enfants restent tranquilles, rendant ainsi ces récits immortels comme l’origine des temps. Voir Vlasta qui tourne dans sa grosse marmite de fonte, en libérant une lourde fumée qui sent le chou et le porc… Des milliers d’existences ne demandent que l’étincelle de l’imagination pour se raconter…
Et quelle plus jolie carte de vœux pourrais-je choisir que l’ensemble de l’art naïf de Hlébine pour vous souhaiter, à tous, des fêtes au chaud - au vin chaud si nécessaire - , mais que le froid et ses beautés fatales restent au dehors, et que l’année qui vient soit remplie, oui remplie, de ces petites étincelles qui font d’une année une grande année : les rires des enfants, la bonne fatigue du travail accompli, l’accueil du repos bien mérité, la grande joie de vieillir en même temps que ses amis et conjoints, les repas du dimanche et des anniversaires avec la belle vaisselle et de vraies serviettes, l’amour des chiens et chats familiaux, le défilé des saisons.