Images trompeuses
Satish et Aisha ont eu un mariage arrangé. Ils sont originaires du nord de l'Inde, et c'est par notre ami Chris que nous avons découvert le succulent restaurant de Satish à Montclair. Et l'interminable menu des délices qu'on pouvait y déguster dans un décor L'Inde vue par les touristes tapageur et bon marché. Leur papadum à l'ail imprégnait nos doigts d'huile et nos palais de voyages, et nous allions gaiement de poulet tandoori en samosas, de crevettes malai en paneer et purée de pois chiches. Jovial et rond, Satish venait nous parler longuement, entrecoupant son monologue de rires auxquels nous unissions les nôtres, mais nous ne comprenions jamais grand chose à cause de son accent. A la fin du repas, il arrivait prestement, la chemise hors du pantalon révélant un ample bourrelet d'une belle couleur ambrée, et déposait sur la table un coffret dans lequel se trouvait l'addition. Ainsi qu'une petite carafe emplie de grains de cumin et de bonbons à l'anis.
Puis nous avons connu Aisha, sa femme. Elle gérait un autre restaurant dans une ville à quelques kilomètres de là. Et comme nous avions une imprimerie, ils nous avaient demandé de prendre soin du dessin et de l'impression de leurs menus. D'où la sensation d'un menu interminable car outre le fait qu'ils offraient une multitude de plats, une description de chacun suivait: marinades au jogurt ou au citron, noix de coco, safran, pois chiches, et épices subtiles me mettaient l'eau à la bouche tandis que je cherchais à équilibrer le tout entre des colonnes orientales et des lampes d'Aladin.
Aisha était très jolie, sûre d'elle, une conquérante. Un petit bijou d'argent dans la narine, de somptueux saris, de longs cheveux sombres, le sourire heureux d'une femme qui ne doute pas un instant de son existence et importance. Un embonpoint porté avec applomb et bonne humeur.
Ils arrivaient toujours ensemble pour leurs commandes, lui exposant ses belles dents blanches dans une radieuse fierté, elle indécise sur tout sauf sur le fait que c'était elle qui commandait. Un jour ils sont venus pour des cartes de visite. Très femme d'affaire, ses longs anneaux frôlant ses joues roses, Aisha m'a demandé que la mention "propriétaire" figure sous son nom. "Et pour Satish?" ai-je questionné. A quoi, blagueuse et avec un regard en coin vers son mari, elle a répondu: "Serveur!" Et le brave Satish de ne pas cacher son amusement et son plaisir, car elle lui avait donné une affectueuse bourrade de l'épaule.
Ah! Que ce mariage sentait bon le curry, le safran et le bonheur!
Et pourtant, en connaissons-nous aussi, de ces mariages "d'amour", de choix, de volonté, qui n'en sont pas et pire, n'en deviendront jamais? Ces couples trop attachés au grand show du nous, on a bien réussi notre mariage pour jamais prendre le temps d'enlever le fard de comédie devant un miroir. Et puis un jour, il y en a un qui a la dangereuse curiosité de gratter sous la poudre, et de se souvenir de ce qu'était son vrai nom avant de devenir Mamour ou Poupoute, et se met à pleurer. Où suis-je passé, où ai-je disparu? Que fais-je dans ce décor, auprès de ce partenaire de vie avec lequel je ne communique que suivant le script?
Et Poupoute ou Mamour jette le script au feu, à la stupéfaction de tous. Quoi? Vous deux? Le couple idéal? Et on apprend enfin le long martyre de Poupoute ou Mamour qui ne pouvait quitter son costume de scène ni changer le script. Poupoute ou Mamour dont le coeur se sclérosait, dont l'esprit errait à la déroute sur les bords de cette félicité factice qu'on lui avait peinte sur le visage.
Une illusion d'amour. Une longue absence. Dieu que le retour fait mal, surtout quand on revient de nulle-part!
Puis nous avons connu Aisha, sa femme. Elle gérait un autre restaurant dans une ville à quelques kilomètres de là. Et comme nous avions une imprimerie, ils nous avaient demandé de prendre soin du dessin et de l'impression de leurs menus. D'où la sensation d'un menu interminable car outre le fait qu'ils offraient une multitude de plats, une description de chacun suivait: marinades au jogurt ou au citron, noix de coco, safran, pois chiches, et épices subtiles me mettaient l'eau à la bouche tandis que je cherchais à équilibrer le tout entre des colonnes orientales et des lampes d'Aladin.
Aisha était très jolie, sûre d'elle, une conquérante. Un petit bijou d'argent dans la narine, de somptueux saris, de longs cheveux sombres, le sourire heureux d'une femme qui ne doute pas un instant de son existence et importance. Un embonpoint porté avec applomb et bonne humeur.
Ils arrivaient toujours ensemble pour leurs commandes, lui exposant ses belles dents blanches dans une radieuse fierté, elle indécise sur tout sauf sur le fait que c'était elle qui commandait. Un jour ils sont venus pour des cartes de visite. Très femme d'affaire, ses longs anneaux frôlant ses joues roses, Aisha m'a demandé que la mention "propriétaire" figure sous son nom. "Et pour Satish?" ai-je questionné. A quoi, blagueuse et avec un regard en coin vers son mari, elle a répondu: "Serveur!" Et le brave Satish de ne pas cacher son amusement et son plaisir, car elle lui avait donné une affectueuse bourrade de l'épaule.
Ah! Que ce mariage sentait bon le curry, le safran et le bonheur!
Et pourtant, en connaissons-nous aussi, de ces mariages "d'amour", de choix, de volonté, qui n'en sont pas et pire, n'en deviendront jamais? Ces couples trop attachés au grand show du nous, on a bien réussi notre mariage pour jamais prendre le temps d'enlever le fard de comédie devant un miroir. Et puis un jour, il y en a un qui a la dangereuse curiosité de gratter sous la poudre, et de se souvenir de ce qu'était son vrai nom avant de devenir Mamour ou Poupoute, et se met à pleurer. Où suis-je passé, où ai-je disparu? Que fais-je dans ce décor, auprès de ce partenaire de vie avec lequel je ne communique que suivant le script?
Et Poupoute ou Mamour jette le script au feu, à la stupéfaction de tous. Quoi? Vous deux? Le couple idéal? Et on apprend enfin le long martyre de Poupoute ou Mamour qui ne pouvait quitter son costume de scène ni changer le script. Poupoute ou Mamour dont le coeur se sclérosait, dont l'esprit errait à la déroute sur les bords de cette félicité factice qu'on lui avait peinte sur le visage.
Une illusion d'amour. Une longue absence. Dieu que le retour fait mal, surtout quand on revient de nulle-part!